Quelques détails sur un détails

Publié le par Mel

Depuis quelques jours fleurissent les polémiques concernant le projet de loi relatif à l'immigration et aux tests ADN pour le regroupement familial. Initialement, j'avais pondu un texte extrêment virulent exposant mon opinion personnelle sur la question, mais j'ai pris le parti de réfléchir et de vous donner plutôt quelques détails sur comment cette loi est en train de s'élaborer techniquement et quelles sont les garanties effectives offertes par les amendements proposés par le Sénat.

Projet de loi et proposition de loi

Tout d'abord, sachez qu'il s'agit d'un projet de loi. Il existe deux manières d'initier le processus législatif en France, le Projet de loi et la Proposition de loi. La Proposition de loi est un texte législatif proposé par l'une des deux chambres et ensuite discuté, amendé et enfin voté par les deux chambres qui constituent le corps législatif français, l'Assemblée Nationale et le Sénat, avant qu'un décret d'application émis par le Président de la République rende la loi effective, normalement dans les 15 jours. Le Projet de loi est lui initié par le gouvernement et ensuite discuté, amendé et voté par le corps législatif français avant qu'un décret d'application émis par le Président de la République rende la loi effective, normalement dans les 15 jours. La différence première réside donc dans l'initiative de la loi. Naturellement, les lois de finances sont nécessairement des projets de loi, mais il faut savoir qu'actuellement, quelques 90% des lois votées en France sont à l'origine des Projets de loi, c'est à dire des lois voulus par le pouvoir exécutif. A la base, cette procédure devait constituer l'exception, selon le principe de la séparation des pouvoirs. Il s'agissait d'un processus de régulation de la législation selon les besoins immédiats du pouvoir exécutif dans le cas où le corps législatif français serait embourbé dans tellement d'autres préoccupations qu'il ne puisse pas pallier l'urgence.

C'est ce pourquoi deux dispositions différencient encore le Projet de Loi de la Proposition de loi. Le premier est que le calendrier des Assemblées est bouleversé à l'arrivée d'un projet de loi. Il doit être examiné rapidement, dès qu'un membre d'une des commissions relatives à l'intérêt de la loi (affaires étrangères, culture, économie, etc.) l'a pris en main. Le gouvernement peut exiger des chambres qu'elle examine en priorité son projet de loi, et donc que ce projet de loi ne dorme pas un certain temps dans les assemblées, le temps que l'ordre du jour le prenne en compte. Le Projet de loi est donc plus rapidement débattu en général qu'une Proposition de loi.

La seconde différence est que, dans certains cas très particulier, le Projet de loi ne peut qu'être accepté ou refusé par les deux chambres, mais non débattu et modifié. Ce cas d'exception peut être demandé par le gouvernement s'il pense que son projet de loi n'est utile qu'en l'état. Les deux chambres ont alors très peu de temps pour rendre leur verdict d'exception et la loi est votée telle quelle. Mais ce n'est pas le cas du projet de loi qui nous intéresse. Malgré tout, cela vaut la peine d'être dit, parce que la prochaine fois que vous entendrez qu'un projet de loi en mesure d'exception a été voté, vous saurez ce que cela signifie.

Du vote de la loi en général et du processus d'urgence en particulier

Lorsqu'une loi est débattue par les chambres législatives françaises et que les deux chambres ne sont pas d'accord, le gouvernement peut demander l'"Urgence", et ce, que la loi débattue soit à l'origine un projet ou une proposition de loi. La procédure d'urgence consiste à désigner une Comission Mixte Paritaire composée de membres des deux chambres, 7 par chambre, qui vont proposer au vote un texte amendé par leur soin. Dès lors, l'Assemblée et le Sénat votent la loi, l'entérinant ou la refusant. Dans le cas où l'une des deux chambres entérine la loi et l'autre non, le gouvernement peut, s'il le souhaite, privilégier la décision de l'Assemblée Nationale, après une nouvelle lecture dans les deux chambres. Après quoi, le décret d'application est signé dans les 15 jours par le Président de la République qui peut, s'il le souhaite, saisir le Conseil Consitutionnel pour qu'il vérifie que la loi est conforme à la Constitution Française.

Ce que cela veut dire techniquement dans le cas présent

Dans le cas qui nous intéresse immédiatement, si on lit donc correctement les informations qui nous ont été données concernant ce projet de loi sur le regroupement familial via un test ADN, on comprend donc :

- comme c'est un Projet de loi, c'est le gouvernement qui a initié le débat sur cette loi
- l'Assemblée l'a voté sans modifications, le Sénat a proposé des amendements, le gouvernement a décidé d'appliquer le processus d'urgence sans permettre le va et viens habituel entre les deux chambres.
- une Comission Mixte Paritaire va donc proposer un autre texte (pas celui proposé par le Sénat, un autre) aux deux chambres qui vont délibérer
- si le gouvernement le souhaite et en cas de désaccord, l'Assemblée nationale aura le dernier mot.
- le Conseil Constitutionnel ne sera vraissemblablement pas saisi par le Président de la République puisque c'est son gouvernement qui est à l'origine du projet de loi et la loi sera ratifiée donc rapidement.

3 conclusions logiques devraient vous sauter aux yeux

- Si les amendements proposés par le Sénat avaient la faveur du gouvernement, il n'aurait probablement pas initié l'Urgence. En effet, il est probable qu'en ce cas, l'Assemblée aurait ratifié le texte puisqu'il correspondait aux voeux de sa majorité politique qui est également la majorité gouvernementale. Il n'était donc pas besoin d'une procédure d'urgence.
- Dès lors, que permet une procédure d'urgence ? Une Comission Mixte Paritaire, convoquée par... Le Gouvernement ! Laquelle va faire une proposition de texte qui va être débattue telle quelle par les deux chambres, acceptée ou refusée. On peut a priori penser sans trop de risque qu'il est raisonnable pour le gouvernement de proposer une Comission Mixte Paritaire composée de membres sensibles à ses arguments qui vont donc proposer un texte vraisemblablement très proche de ses désirs.
- L'on sait que l'Assemblée a déjà approuvé le texte initial, il n'y a donc aucune raison de penser qu'elle sera moins encline à accepter la proposition de la Comission Mixte Paritaire. Le Sénat lui, a voulu imposer des limites à cette loi, mais il est désormais impuissant : s'il n'accepte pas la loi, elle sera promulguée quand même, puisque le Président a le droit d'entériner la décision unilatérale de l'Assemblée.

En résumé :

Un projet de loi a été initié par le gouvernement concernant le recours systématique aux tests ADN dans le cas d'une demande de regroupement familial d'immigrés sur le territoire français. L'Assemblée l'a voté sans discussion, le Sénat a voulu l'amender, le gouvernement a demandé l'urgence et une commission mixte paritaire choisie par le gouvernement va proposer un texte amendé par ses soins dans le sens qu'elle entend au vote. Que le Sénat soit ou non d'accord ne change plus rien et il ne peut plus exercer son contrôle et sa régulation puisque l'Assemblée a préséance. Ergo : ce dont on nous rebat les oreilles comme quoi le texte amendé est tout bien fait pour préserver les droits fondamentaux, on s'en fout. Rien ne nous dit que la loi votée reflétera la réflexion du Sénat, si tant est qu'elle soit suffisante et nous n'avons pas les recours nécessaires pour exiger que la loi soit examinée sous l'angle de sa constitutionalité ou de son respect des accords internationaux tels que les droits de l'homme (dont font partie le respect de la vie privé et de la dignité humaine).

De fait, logiquement, la loi nationale est un cran en-dessous de la constitution et des accords internationaux, donc cela ne devrait pas poser de problème... Sauf que dans le cas présent, si le recours légal normal n'a pas été saisi, ergo, le Conseil Constitutionnel, les décisions se feront au cas par cas par procédure judiciaire et les textes appliqués le seront en fonction d'une jurisprudence qui se mettra en place au fil du temps. Or combien d'immigrés en demande de regroupement familial auront la possibilité d'engager un procès long et coûteux pour tenter de déterminer si la loi est ou non applicable dans le respect des droits de l'homme ? D'or et déjà, la Comission d'Ethique a rendue un avis défavorable sur cette loi, la considérant comme contraire à l'esprit des lois françaises. Seulement voilà : tout le monde s'en fout, elle n'a qu'un avis consultatif...

Dernière conclusion : apprenez à lire les nouvelles correctement en pesant leurs implications, vous verrez le monde sous un autre jour...

Publié dans Réflexions en vrac

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O
Je viens de lire quelques passages de votre site et je le trouve très sympa. Je continuerai donc bientôt la lecture !!!
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E
Oui, je suis parfaitement d'accord avec toi sur tout ce que tu as dit... Mais je voulais souligner que sans mon petit laïus (si simpliste soit-il) sur ce que les imbéciles appellent "politique politicienne", c'est à dire les querelles partisanes et le jeu des oppositions, bref, de comment le système se corromp et se distancie du peuple, ton exposé était incomplet... Et cruellement (tu me pardonneras de l'ajouter), puisque c'est essentiellement cela qui occupe le monde politique, quelle que soit la loi débattue.C'est aussi cela que la désinformation cherche à cacher, ou du moins c'est ce que personne ne dit et que tout le monde pense... La vieille philosophie du "tous pourris", certes, mais pas seulement, et pas forcément avec ses implications extrêmistes. Mais il est important, à mon avis de savoir que, et surtout de comprendre comment et pourquoi, les gouvernements depuis fort longtemps (et quels qu'ils soient) fonctionnent, comme un roman ou uen pièce de théâtre, grâce à la suspension consentie de l'incrédulité du public... Et cela ne date pas d'hier.Mais cela n'enlève rien à la valeur de tes conclusions !
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M
Dernier point et non des moindres : l'argument comme quoi la loi amendée par le Sénat garantie la liberté et les droits fondamentaux est avancé par la majorité, ce qui est, au regard de ce qui va se passer, un mensonge. Ce n'est pas tant que les amendements ne sont pas bons ou pas suffisants en soi, en s'en branle, rien n'indique en l'état qu'ils seront pris en compte. C'est là toute la beauté de la désinfo : que le Sénat ait amendé la loi pour faire chier le gouvernement ou pas, on se sert des amendements proposés pour dire "on tient compte des arguments des autres" alors qu'il n'en est rien !To be or not to be crétin comme des moutons, là est la question...
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M
C'est un fait que le gouvernement de Monsieur notre nouveau président de la République n'est pas le premier à utiliser le biais des projets de loi pour faire voter tout et n'importe quoi. La question, encore une fois, n'est pas tant de dénoncer ce système, quoiqu'il s'agisse évidemment d'une abberation par rapport à ce que la Constitution prévoyait à la base, mais bien de faire comprendre exactement le sens de ce qu'est un Projet de Loi et de ce qu'est une Proposition de loi.Encore une fois, mon post n'a pas tant de visées politiques, bien que je pense que mon opinion concernant cette loi particulière soit claire, que de décrypter l'actualité de manière à ce que chacun puisse se faire une opinion éclairée par les bons éléments sur la question, non seulement de cette loi-ci, mais également des suivantes.Le truc, c'est qu'à chaque fois que je dis qu'il y a une différence entre proposition de loi et projet de loi, les gens me regardent comme des ahuris. Et après, on leur demande s'ils sont contents ou mécontents des lois qui sont votées alors qu'ils n'ont pas les éléments nécessaires à la compréhension du système... ça, ça me tape sur les nerfs.Que cette loi soit profondément mauvaise ou basée sur le volontariat et destinée au bien du plus grand nombre (je n'en ai vu aucune mention nul part dans le texte du projet de loi, personellement, parce que oui, on peut trouver les textes et donc les lire) est une question de point de vue qui, en la matière et étant donné que nous n'avons pas, en tant que citoyens, les moyens de la favoriser ou bien de l'empêcher est presque sans conséquence. Ce qui importe est de bien comprendre l'enjeu des lois qui sont votées, comment et pourquoi. Car cela forme la politique de notre pays, sa morale, sa justice et qu'il est toujours temps pour un citoyen de se demander s'il est ou non en accord avec la politique de son pays.Enfin, concernant le Sénat, je serais relativement moins définitive que toi, sur ce coup.Le Sénat est élu pour 9 ans, ce qui coupe ses membres de leur parti politique de facto car après ça, leur carrière est finie, leurs noms ne sont plus connus du grand public, bref, ils sont morts. Et c'est volontaire, puisqu'il s'agit d'une chambre de régulation. Quoi qu'il en soit, il est évident que l'habitude prise de sumultiplier les projets de loi, retardant infiniment les propositions de loi qui pourraient se faire bien plus rapidement sans cette surabondance n'a pas les faveurs du Sénat qui y réagit mal car il se sent, plutôt à juste titre, dépossédé de son rôle. Malgré tout, le Sénat ne réagit pas nécessairement à chaque fois de cette manière et ce n'est certes pas l'opposition qui en bloque l'efficacité.Par ailleurs, reste à noter que la procédure d'Urgence est tout à fait applicable pour une Proposition de loi, rendant relativement nul l'argument de la rapidité, mais ne pinaillons pas, tout le monde peut comprendre pourquoi les projets de loi sont plus pratiques.Bref, encore une fois, la critique est légère et il ne s'agit pas de s'attarder dessus mais simplement de comprendre tous les enjeux qui nous sont présentés sans explication suffisante pour qu'on en saisisse la portée. C'est là tout mon but.
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E
Oh, et quant à la désinformation... Nil novi sub sole. Je me tue à le dire aussi, et nous en sommes tous victimes... Ne serait-ce que parce qu'à force de désinformation, on ne sait plus quoi croire, et la vérité (si tant est qu'elle soit bien là quelque part) ne peut plus être discernée du reste.
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