les hommes ont peur... donc nous aussi

Publié le par Mel

Alors, suite à mon coup de gueule d'hier, super remontée, je suis allée faire un tour dans le quartier. A pied. Donc, je portais un jean et un débardeur (j'avais hésité pour le débardeur, bras nu et léger décolleté, ça en fait un de trop, mais... Forte de mes bonnes résolutions, me suis dit, pas dec', ça va aller). Evidemment, tel que prévisible, me suis prise les remarques, regards et autres habituels. Ce en quoi, contrairement à d'habitude, où je me planque derrière mes lunettes de soleil, regard dans le lointain, casque vissé aux oreilles pour rien voir, rien entendre, là, j'ai décidé que lorsque lesdits regards, remarques et sutbtils déplacements visant à occuper le trottoir pour que tu sois obligé de faire un écart me dérangeraient, je regarderais le coupable droit dans les yeux. Bon, je devais avoir l'air dure, ou déterminée à tout le moins parce que ça a très bien marché. Pas un pour ne pas baisser les yeux !

Incroyable, me suis-je dit. Et pourtant, quelque part, fort logique. Tiens, par exemple, un des mecs pénibles d'hier était un cireur de chaussure. Ces garçons-là sont pauvres et se font marcher sur la gueule à longueur de journée. Il devait être particulièrement remonté pour m'emmerder (à savoir, globalement uniquement me détailler de la tête au pied en me bloquant plus ou moins le chemin en louvoyant, mais c'est déjà assez agressif, comme comportement), aussi est-ce très logiquement que lorsque je l'ai regardé dans les yeux, il s'est détourné et m'a laissé le passage. Parce que bon, se venger de sa frustration quotidienne sur une nana apeurée, c'est une chose, s'attaquer à une femme qui agit avec autorité comme si elle était légitime à le faire... Eh bien, c'est qu'elle doit l'être et alors, c'est plus jouer, mais prendre des risques.

D'une manière générale, au Maroc, l'autorité est respectée de façon quasiment cathartique. Séquelle probable d'un régime qui, il n'y a pas si longtemps, faisait disparaître sans justification qui déplaisait au pouvoir, sans doute. Et si, dans mon cas, cela peut être une solution pour être moins emmerdée dans la rue, c'est aussi probablement la cause du problème. Dans une société relativement dure encore (bien que tout cela soit en train de changer), dans laquelle les libertés personnelles sont limitées et la pression sociale importante, il faut un exutoire. Comme par ailleurs, ici, les femmes font leurs grands débuts sur la scène de l'égalitarisme (encore que ce soit plus compliqué que cela, qu'il y ait eu, là comme partout, des progrès, des régressions, etc. parce que rien n'est linéaire) et se montrent compétentes dans le travail et globalement déterminées à l'indépendance ou au moins, à l'autonomie par rapport à leurs hommes, nécessairement, ils se sentent mal à l'aise dans leurs baskets. Et du coup, ils tentent par des moyens franchement ni subtils, ni efficaces sur le long terme, de nous remettre à nos places, c'est à dire en fin de compte, de reprendre enfin un peu de pouvoir, de préserver ce qu'ils ressentent comme leur bastion d'autorité.

Une étude faite récemment par un mag féminin (mais le meilleur que je connaisse, honnêtement) fait état des aspirations des hommes, de ce qu'ils demandent à leur future épouse. Et là, on se rend compte que c'est la catastrophe, ils veulent des femmes soumises, voilées, vierges au mariage. Plus encore qu'il y a 10 ans, où ils montraient plutôt plus d'ouverture. Pourquoi ? Parce que l'équilibre est rompu, d'une certaine manière et qu'ils ne savent pas comment y remédier. Ils n'ont pas plus de pouvoir, eux. En revanche, ils perdent de facto, par le changement de la Moudawana, par le mode de vie qui demande deux salaires, par l'émancipation des femmes en général, le pouvoir qu'ils avaient sur leurs femmes. Bien entendu, s'ils cessaient cinq minutes d'avoir peur pour prendre du recul, ils se rendraient compte qu'ils ont tout à gagner à cette situation, en particulier des partenaires plutôt que des bonniches. Mais ils ont peur et le fossé se creuse entre hommes et femmes, parce que leurs aspirations, pour certaines pas si déraisonnables il y a 10 ans, sont maintenant complètement à l'ouest et relèvent du voeu pieu.

Non, les femmes ne sont plus vierges au mariage, ou en tout cas, très peu d'entre elles le sont, et encore faut-il être sûr qu'elle ne s'est pas faite refaire l'hymen (l'opération de chirurgie esthétique la plus répandue, ici). D'un autre côté, si les femmes ne sont plus vierges, c'est bien que les hommes aussi en ont profité avant le mariage, non ?

Et oui, c'est vrai, les femmes ne sont plus aussi soumises qu'avant. Mais faut dire que la soumission se compensait : l'homme entretenait la femme qui restait à la maison et avait son univers mais d'un autre côté, dépendait du bonhomme qui tenait les cordons de la bourse. Là, les deux travaillent, les deux maîtrisent le budget, donc plus question que monsieur décide seul de l'achat d'une maison, d'une voiture, etc. Ce en quoi, elles ne sont pas nécessairement pour autant grandes gueules, faut pas croire. Elles ne le sont même pas assez à mon goût, mais la soumission façon maman, ça, non, c'est fini.

Voilée ? ça, c'est nouveau. Mais en fait, c'est symbolique. Ils se disent que les femmes voilées seront par définition soumises et vierges puisque bonnes musulmanes. Manque de bol, rien à voir. Comme je le disais, le voile peut être (et est souvent) une technique d'évitement des emmerdements, voire un appel au mariage : femme sérieuse, cherchant homme sérieux. Oui, mais... Outre que le voile peut donc se mettre à n'importe quel âge et peut suivre une période d'émancipation finalement mal vécue pour X raisons ou encore une évolution dans sa foi, une fois mariée, la gentille petite nana sérieuse, un peu bébète, les yeux baissés peut se révéler être tout à fait intelligente, capable et indépendante. Ben oui, se marier devient dur, maintenant. Et comme vivre avec quelqu'un hors mariage est impossible, si les mecs veulent du rêve à la mamie, on peut leur en donner, hein ! Si c'est le seul moyen pour pouvoir avoir des enfants et ne plus sentir peser sur soi les reproches de la famille qui vous traite de vieille fille... Certaines femmes prennent ce parti et évidemment, il n'en ressort que du mauvais car c'est un marché de dupes, mais bon, c'est compréhensible.

Or donc, l'attitude des hommes est compréhensible aussi, bien entendu. Juste irréaliste, agressive et peu pertinente, mais oui, compréhensible. Par ailleurs, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit, il y a également des hommes progressistes, faudrait pas non plus noircir le tableau. Cependant, un pas en avant, deux en arrière, la rue n'est pas le meilleur endroit pour étaller son progressisme. Ben oui : un mec bien dans ses basques se contente de NE PAS. Ne pas vous mater insolemment, ne pas vous insulter, ne pas draguer d'une manière pathétique. On remarque évidemment plus la présence que l'absence de quelque chose. Sans compter que les mecs qui trainent dans la rue ne sont pas les plus évolués.

Du coup, si les femmes gagnent en confiance en elles, en même temps, elles développent une forme assez pernicieuse de peur et ce, dans tous les milieux sociaux. Les plus populaires se contentent de rester à la maison autant que faire se peut. Les bourgeoises et classes moyennes sortent, mais quand elles sont mises en valeur, elles le font dans des endroits précis et avec une forme de défi dans le maintien et une crispation de la mâchoire. Cette peur des hommes qui ne s'avoue pas se transforme chez certaines en jugement de valeur hargneux sur les femmes libérées : si on les traite comme ça, c'est qu'elles doivent le mériter. Parce que sinon, cela pourrait bien leur arriver aussi et ça, c'est inacceptable. D'ailleurs, pour l'éviter, elles ne sortent pas et oui, elles se voilent.

Ce qui n'empêche pas qu'elles ont tout de même peur... Des "voleurs", souvent, de tout et de rien, aussi. Derrière ces "voleurs", il y a les hommes, toujours. Ainsi, on te dit de ne pas monter dans un taxi où il n'y a que des hommes, parce qu'ils pourraient être complices et te "voler" et te "battre". Tandis que s'il y a déjà une femme, c'est moins dangereux, ce n'est pas un piège. Or, vous en conviendrez avec moi, s'il ne s'agissait que de vol, une femme serait tout aussi qualifiée. Mais bien sûr, ce n'est pas cela, n'est-ce pas ? Non, les femmes se sentent (mais souvent, c'est inconscient) victimes des hommes. Un copine de bon milieu social est fan d'une boite où il y a des voituriers parce que comme ça, elle sort juste devant la boite et rentre dedans immédiatement "pour ne pas avoir froid" dit-elle...Même quand il fait chaud. J'ai vu une jeune femme l'an dernier, belle comme un coeur parader dans un des clubs piscine de la corniche, et puis faire la fière devant ses copines en sortant du club en mini short et t-shirt court... Mais elle avait beau garder la tête bien droite et faire comme si elle s'en foutait, elle marchait vite et son air soulagé une fois dans sa voiture ne trompait pas. Il y avait 20 pas du club à sa voiture. 20 pas dans le quartier le plus tranquille qui soit. 20 pas d'angoisse, pourtant.

Alors après, il est vrai également qu'à force de petites remarques, de regards désagréables et de quelques malades comme celui qui m'a suivi en voiture, on devient encore plus sensible, on a encore plus peur, on réagit encore plus mal et on se fait des films. Du coup, fonction des moments, on se sent souris grise qui veut disparaître dans son trou ou bien alors wonder woman qui va tous les casser, ces connards. Le pauvre gars pas bien malin mais pas désagréable qui vous drague à ce moment là en prend pour son grade, évidemment et cela ne fait qu'exacerber incompréhension et peur, de part et d'autre. Mais dites-moi, quelle est la solution ? Cela ne peut pas être de se planquer, parce que cela ne marchera pas et puis c'est inhumain. Alors, quoi ? Une chose est sûre : ici, être féministe quand on est une femme, ce n'est pas être contre les hommes, c'est juste du bon sens. Il faut juste que les hommes se rendent compte qu'ils sont des femmes comme les autres...
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M
Bonjour,Bien évidemment, vous avez raison : c'est un sujet des plus complexes et les choses bougent très rapidement. Elles ne bougent d'ailleurs même plus d'année en année, mais presque de mois en mois, tellement c'est rapide. Donc en effet, les classes sociales sont de plus en plus floues et remplacées progressivement par des tissus socio-économiques en mutation. Et oui, la condition féminine est également, fort heureusement, en train d'évoluer.Le fait de travailler dans un féminin (et ici, ils sont tous féministes, je dois le préciser) amène sans doute à la fois une visions décallée mais aussi assez précise de la situation, plus nuancée que celle que j'ai eu l'occasion de développer en première intention sur ce blog, car alors, je ne l'étais pas encore.C'est le piège du blog, n'est-ce pas ? Mes articles sont étallés dans le temps de ma découverte et ils périment assez rapidement, d'autant plus que j'apprends à connaitre le Maroc au fur et à mesure sans compter que, une société en mutation comme celle-là rend ce qu'on en comprend rapidement caduque.Néanmoins, et même si mon opinion se nuance au fur et à mesure, j'en reste à ce que dit si justement un sociologue marocain sur les femmes : elles gagnent en autonomie, mais non en indépendance, pour le moment. C'est déjà pas mal, mais forcément, comme je suis féministe, cela ne me paraît pas assez.En tout cas, merci pour votre lecture attentive et pour votre indulgence,
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A
BONJOUR J'ai lu vos articles notamment sur la société marocaine.C'etait passionnant de voire comment l'autre nous regarde et nous voit.il y'avait beaucoup de pertinence sauf peut-etre pour les classes sociale.JE me trompe peut-etre mais je trouve que vous insistez trop sur le caractère soumis de la femme disons que c'est trop généralisé parce que c'est un sujet bien plus complexe qu'on ne le crois.la société marocaine a beaucoup changé en 20ans.on observe une nucléarisation de la famille avec la notion de couple.on voit de plus en plus de familles qui sortent le week end pour prendre un pot manger...ce qui etait pas fréquent il y a 20ans sauf dans certaines couches aisées de la société
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A
Un bien triste bilan en effet et comme tu le dis fort bien, les manières de le modifier ne sont pas évidentes.
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M
Ah que c'est une délicate question que le partage des pouvoirs ! Je crains malheureusement que l'équilibre ne soit que fictionnel ou, plus exactement, qu'il n'existe que dans la tension, c'est à dire si hommes et femmes engagées continuent à se battre pour leur camp, ce qu'évidemment, je m'empresse de faire. ;-)La question légale est également complexe, elle ne change rien au comportement quotidien, en fin de compte. Si l'on regarde les statistiques d'abus divers faits aux femmes (violence, viols, agressions de nature sexuelle n'allant pas jusqu'au viol, etc.), on se rend compte qu'on ne va jamais en dessous d'un certain seuil pourtant éminement élevé. Donc la législation ne suffit pas. d'ailleurs, j'en veux pour preuve la non-application, totale ou partielle fonction des régions et des juges, de la nouvelle Moudawana (code civil, qui, depuis les modifications, place la femme à égalité de l'homme) ici. Cela viendra, certes, mais seulement si en parallèle, les mentalités évoluent.Les manifestations ont ceci de problématique qu'elles sont certes nécessaires pour obtenir de la visibilité mais qu'elles provoquent l'hostilité. Elles sont par natures outrageuses. Je n'ai jamais vu un slogan subtil, tout simplement parce que ce n'est pas percutant. Brûler un soutif, en revanche, ça marche. Mais combien de femmes n'aspirant qu'à la reconnaissance de leurs droits ss'identifient dans cette négation de leur féminité ? Combien d'hommes en sont outrés ? La réponse est clairement dans le revirement que la France (entre autre) connaît actuellement : le féminisme a gagné une bataille mais perdu la guerre, puisque désormais, dire que l'on est féministe en France revient à se déclarer anti-hommes et extrêmiste.Or donc, je ne sais pas trop ce qu'il faut faire. Faire bouger les choses, en douceur pour la masse, avec des coups d'éclats de temps en temps pour les plus courageuses. Eduquer, prier, que sais-je encore ? Tout est bon, à mon sens. En ce qui concerne l'évolution en France, à mon sens, plusieurs éléments ont conjointement aidé à l'égalité de statut que nous connaissons actuellement, laquelle est remise en cause, maintenant, mais bon... Le travail des femmes pendant la guerre, bien sûr, mais ce n'était pas suffisant. Le fait que les autres pays alliées aient donné le droit de vote aux femmes bien avant le démontre : nous sommes un pays de macho. D'ailleurs, que d'autres l'aient fait avant a justifié la cause des siffragettes et les a aidés. Cela n'a pas suffit non plus, ceci dit. Il nous a fallu également le Manifeste des je-ne-sais-plus-combien de salopes, qui nous a donné le droit à l'avortement, les brulages de soutifs qui nous ont donnés de la visibilité dans la révolte (mais aussi, comme je le disais plus haut, une image déplorable), la libération des moeurs en général a joué un rôle éminent, aussi puisqu'avec la pilule et avant le sida, coucher avec quelqu'un n'avait plus de conséquences dramatiques, hommes et femmes se sont trouvés à égalité sexuelle. Enfin, et cela, on n'en parle pas assez, mais à mon sens, c'est frondamental, le boom économique des années 60, accompagné d'une très forte mobilité sociale qui a remis en cause les fondements moraux des différentes strates de la société, éclatées et recomposées.Au résultat, dans les années 80, les femmes ont effectivement gagné le combat en apparence. Elles ont les droits des hommes (mais pas leur salaire), elles travaillent et sont indépendantes (mais s'occupent encore beaucoup des enfants), elles courrent toute la journée (comme dans la chanson "elle a fait un bébé toute seule") et des livres d'hommes déconcertés et paumés comme "les juppes-culottes" apparaissent.Années 90, le sida, remoralisation de la société et... combat des hommes pour leurs droits. Droit de garde partagée (normal mais complexe parce que cela lie le couple à jamais, obligé de vivre dans la même ville, etc.), congé paternité, etc.Fin des années 90, début 2000, on obtient Extension du Domaine de la Lutte, ou le malaise de toute une génération d'hommes paumés sans repère sur un marché du sexe délirant où la compétitivité est reine. Les femmes, elles s'affamment dans l'espoir de rester jeunes et regardent Sex & the City en se demandant si elles parviendront jamais à trouver l'âme soeur, les jeunes filles musulmanes se voilent en masse et les autres recommencent à envisager de garder leur virginité jusqu'au mariage. Voilà, on en est là, maintenant. Des psychologues parlent à la télé du rôle respectif des hommes et des femmes, dénoncent (avec raison mais quel retour en arrière si on suit leur avis !) le brouillage des repères et recommandent que les femmes s'occupent mieux de leurs enfants et que les garçons n'aident pas au ménage. Un chef d'entreprise déclare sans faire sourciller quiconque qu'à compétences égales, il préfère un homme qui ne le fera pas chier avec ses règles et ses gniards. Les femmes violées, c'est bien de leur faute et nous n'avons toujours pas les mêmes salaires. Est-ce que vraiment nous avons gagné le combat ? Non, bien sûr. Tout est à recommencer, comme toujours. Au Maroc, eh bien, situation différente. Les femmes sont reconnnues dans le travail, pas dans la vie privée. A voir ce que cela donnera. Ce qui est sûr, c'est qu'ici comme en France, le trouble demeure : l'équilibre ne satisfait pas tout le monde.
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A
Tu as sans doute raison, le comportement de ces hommes m’étant, sur le fond, incompréhensible, il est tout à fait possible que cela soit avant tout une marque de la volonté de la « toute puissance ». Dans ce cas, ton attitude me semble d’autant plus justifiée puisque tu n’as fait qu’affirmer le droit du « faible » (supposé comme tel par l’agresseur). Ne s’agissant pas d’un rapport de séduction, je ne vois guère que le droit (pénal) ou l’affirmation violente (manifestations) pour remettre sur un pied d’égalité les deux sexes. Ce n’est plus une question de dialogue mais une question de partage des pouvoirs. Je ne connais pas assez l’histoire du MLF en France pour savoir qu’elle furent les éléments déterminants pour faire évoluer notre société (le travail des femmes en usine durant la guerre, les suffragettes ?).
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