Pays schizophrènes
Je vous ais dit, n'est-ce pas, qu'Amina voulait savoir quand je ferais vacciner Beldi ? Est-ce que quelque chose là-dedans ne vous a pas choqué ? Amina, c'est la femme qui, comme tous les gens de sa classe sociale désargentée, va aux urgences quand elle est malade, parce que les urgences hospitalières servent de dispensaires peu coûteux. Pourtant, il lui semble normal qu'un petit chat adopté par des françawis soit vacciné. Sa mère, qui est âgée et très malade s'en remet à des rebouteux. Mais elle s'inquiète de savoir si des médicaments ont été achetés et administrés à un petit chat.
Sa nièce la plus grande, qui a 18 ans, Hannan, considère que les jeunes filles qui sortent, qui fument, boivent ou même, vont régulièrement au café ou au salon de thé sont franchement dévergondées, infréquentables. Les femmes mariées qui font ce genre de choses, n'en parlons pas, non seulement sont elles infréquentables, mais en prime, ridicules. Pourtant, elle me considère avec respect, alors même que je fais tout cela et bien pire. Mais ce n'est pas pareil, je suis françawia.
Mon moniteur d'auto-école, qui vit chez ses parents, dans un ancien baraquement de militaires (son père l'était) et qui n'a pas les moyens de s'offrir une voiture malgré son métier et vient donc au boulot en vélo, sachant que j'achetais un appartement, m'a demandé à combien. Il a considéré, alors même qu'il ne pourra jamais s'offrir quoi que ce soit d'approchant, que ce n'était pas très cher et m'a félicité de ma bonne affaire... Sans arrière-pensée.
Tout cela, vous me direz, ce sont les différences de classes sociales, mais il n'y a pas que cela.
Une copine qui est célibataire et vit chez ses parents (bien qu'elle travaille depuis longtemps), est fumeuse. Elle fume beaucoup, régulièrement. Pourtant, elle croit dur comme fer que ses parents ne le savent pas, elle ne leur a jamais avoué et n'oserait pas fumer devant eux. Pour moi, une chose est sûre, quand quelqu'un sent le tabac, on sait qu'il fume, donc ses parents, qui ne sont pas plus cons que la moyenne, le savent. Mais ne rien dire de part et d'autre maintient le statu quo : elle sait qu'elle fait là quelque chose de pas bien, ils le savent aussi, mais elle garde les apparences de la bonne fille et se faisant, elle manifeste au minimum sa volonté de l'être...
Une discussion avec des amis qui boivent de temps en temps un verre ou deux sur l'interdit de l'alcool : est-ce que les sauces au vin, qui, par définition, ne contiennent plus d'alcool quand on les consomme, sont interdites ? Réponse : oui, même si le vinaigre, qui contient lui, toujours de l'alcool, ne l'est pas. En mangeriez-vous quand même ? Pour l'une d'entre eux, la réponse a été non : tant qu'à pécher, autant que j'en ressente l'ivresse...
Le Maroc, par bien des aspects, est schizophrène. Parce les niveaux sociaux coexistants sont tellement éloignés les uns des autres que la réalité des uns n'est même pas ressemblante à celle des autres. Parce que la société, le langage, la tradition est profondément religieuse, mais que la culture du jour est à la performance et au développement économique et que parfois, cela ne fait pas bon ménage. Parce qu'en fin de compte, le Maroc évolue tellement vite que tout n'a pas le temps de se mettre au diapason.
D'un autre côté, tous les pays ne sont-ils pas un peu schyzophrènes ? La France l'est aussi, par certains égards. On a de plus en plus d'obèses et d'anorexiques en même temps. Le président de la république est le plus impopulaire de l'histoire de la Ve République au bout d'un an, après avoir remporté les suffrages avec une avance confortable en misant justement sur sa différence. Les gens considèrent à parts égales (et en sont mécontents dans les deux cas) qu'il a tenu ses promesses et qu'il les a rompu. Etc.
Pourtant, il y a une différence entre les deux, je trouve : la France est normative, elle rejette avec de plus en plus de violence qui ne rentre pas dans le rang, quand le Maroc accepte avec philosophie d'appliquer une grille de valeur différente fonction des individus et des status. Je crois que définitivement, je préfère la folie marocaine.
Au fait, on va se la jouer un peu Bridget Jones : hier, premier jour de traitement au Champix, 7 cigarettes (contre 1 paquet et demi à 2 paquets par jour habituellement). Je suis sensée arrêter totalement à un moment donné de la deuxième semaine, donc pour la première : moins de 10 cigarettes par jour avec objectif progressif à 5 cigarettes par jour, deuxième semaine 5 cigarette avec objectif à 3 et fin de deuxième semaine, arrêt total. Je vais éviter autant que faire se peut de ne parler que de cela, mais tous les jours, je mettrais quand même un petit récap' de combien la veille... Sauf le WE, sans doute, vu que j'écris jamais le WE.