Amina et l'alcool

Publié le par Mel

Bonjour les zamis !

Alors, comme vous le savez si vous me lisez régulièrement, Amina est ma bonne. C'est une femme charmante d'une quarantaine d'années, pas super méga intelligente, mais vraiment très sympathique et agréable à vivre. Et comme beaucoup de musulmanes pratiquantes, évidemment, pour elle, l'alcool, c'est le Mal... Mais pour elle, hein, pas pour moi. Puisque je suis française...

Bref, donc pas d'alcool. Jusque là, rien de surprenant. C'est l'un des rares trucs que j'achète moi-même car je sais qu'elle aurait honte d'acheter de l'alcool, peur du regard des gens. Elle le ferait, bien sûr. Mais pourquoi lui imposerais-je à elle d'acheter de l'alcool et à moi de boire la première piquette venue qu'elle ne distinguerais pas de la bouteille que je lui aurait commandé ? Mauvais calcul pour tout le monde et peu de respect dans l'affaire, donc non.

En revanche, ça ne la dérange pas de cuisiner à l'alcool pour moi, si je veux. Mais bon, je veux pas car elle ne sait pas suivre une recette et puis, cuisiner sans goûter quand on n'est pas précis au grain de sel près, c'est la cata.

Ceci dit, quand je prépare un plat à l'alcool, Amina, qui travaille beaucoup dans la cuisine est toute excitée. Elle tourne, elle vire, l'oeil vif, persuadée d'être saoule des vapeurs d'alcool et elle me dit : "c'est comme si moi boire, mais pour mon Dieu, maki mouchkil, c'est pas grave, j'ai pas péché", et elle rit. Le frisson de l'interdit sans ses conséquences ni sociales, ni morales. Je crois que c'est une des raisons qui font qu'elle aime bien travailler pour des étrangers : cotôyer l'interdit... Et ça me rappelle un tout jeune garçon de 12 ans qui voulait absolument fumer de l'herbe quand j'étais ado (et que moi-même, je ne fumais que rarement, voire jamais), à qui on avait fait fumer du romarin par plaisanterie et qui était sûr et certain d'être complètement parti. Il s'était tapé un bon trip, rien que par la volonté... Un peu ridicule, certes, mais étonnament instructif, aussi quand on y pense.

Cette fascination effrayée pour l'alcool est un des traits les plus communs et les plus surprenants du Maroc. Elle est en réalité commune à tout ce que les français peuvent faire mais que les marocains traditionalistes ne font pas par respect de leur religion. Ils ont une très grande tolérance vis à vis de tout : le porc, l'alcool, les fempmes dans les cafés... Tolérance pour nous, mais surtout pas pour eux-même. Pour eux, ce serait très grave, une perversion, mais en même temps, cela fait partie de notre nature intrinsèque et ne les choque en rien. C'est très étonnant, en réalité, car ils sont capables d'ériger des règles de vie très strictes et absolues en tant que valeurs morales, tout en reconnaissant parfaitement que ces valeurs morales ne s'appliquent à nul autre qu'eux-mêmes sans pour autant entacher la moralité de ceux qui ne les respectent pas. C'est une forme de tolérance extrême très rare, que je n'ai quasi jamais rencontrée en France, en fait. Il faut, pour y parvenir, maintenir à la fois la pensée d'un code de conduite qui ne souffre pas d'exception ET le fait que ce code de conduite en vaut un autre... Une philosophie presque skizophrène, en somme.

Maki mouchkil : toi française, c'est l'habitude. Moi, c'est pas bien pour mon Dieu. C'est pas grave, c'est la même, toi sérieux, gentille. Mais moi, sérieux, musulmane.
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article