Geek, presque geek, ancien geek et geek-attitude : du mythe à la réalité

Publié le par Mel

Aujourd'hui, nous allons donc continuer notre exploration de la psychologie de cette population encore mal comprise qu'est le geek, en tenant compte, autant que faire se peut, des remarques de mes éminents collègues spécialisés en geek-attitude sur mon post précédent .

Tout d'abord, et alors même que je voulais expliquer et redéfinir clairement ce qu'est un geek, je m'aperçois que je me suis moi-même laissé avoir par l'étendue trompeuse du terme et que j'ai confondu des proto-geek touchés par la geek-attitude avec des vrais geek, des purs de durs, des tatoués. Ainsi, celui de mes copains qui pense que manger rouge, jaune, vert est équilibré n'est pas un vrai geek, de même que je n'en suis pas une non plus, du moins, pas au sens propre. Parce qu'effectivement, avec l'étendue sémantique que l'on a précédemment décrit, il devient difficile de distinguer le simple passioné de culture alternative type SF/fantasy, jeux en tout genre du geek vrai de vrai. C'est vrai, quoi ! Au départ, c'était simple, les geek étaient des fous d'ordinateur, plus à l'aise en language machine qu'en conversation mondaine. Mais maintenant que le terme recouvre aussi les fans de culture alternative... Alors quoi ? Est-ce que cela voudrait dire que toute une génération (au moins, et même plus, des quarantenaires au dj'euns du jour) sont des geeks ?!? abberant, évidemment... Mais d'un autre côté, comment ne pas penser qu'il faut être franchement à côté de la plaque aujourd'hui pour ne pas avoir, si l'on a entre 20 et 40 ans (en France ou en occident) :

- vu le Seigneur des Anneaux à défaut de le lire
- vu Star Wars,
- connu Star Treck
- lu et aimé de la BD/comics/manga
- regardé les premiers animes passés sur les chaînes publiques au bon temps de Dorothée,
- essayé le jeu, qu'il soit de société, de rôle ou sur ordi et apprécié AU MOINS une catégorie de jeux durant AU MOINS une période donnée,
- entendu parler de jeu de rôle, de Magic, de Gamesworkshop,
- utilisé régulièrement un ordinateur et Internet,
- vu, lu ou tout au moins entendu parlé de Dune
- lu au moins un livre de fantasy ou de SF.

Or, dès lors qu'au moins une des activités sus-mentionnées est appréciée et conséquemment pratiquée régulièrement, on peut rentrer dans le champ de la geekitude au sens figuré du terme. C'est ce pourquoi être considéré comme un geek peut être et deviens de facto, pour une certaine catégorie de la population prescriptrice de loisirs un compliment et un dû. On reconnait là une spécialisation et c'est un titre de noblesse. Pour peu qu'on en pratique assudûment plusieurs (ce qui est non seulement mon cas mais celui de pas mal de mes copains parisiens), on est forcément un geek. Geek devient du coup simplement un synonyme de passioné par tout ce qui est à la mode et pas considéré par la doxa, c'est à dire l'autorité intellectuelle, en clair, un passioné de culture populaire. C'est ce pourquoi devient geek le passioné de pubs bizarres, le fan de chansons populaires qui connaît tous les titres et toutes les paroles (pensons à la surmultiplication des quiz musicaux), etc.

Pourquoi pas ? Me direz-vous. Pourquoi ne pas laisser ce terme, connu de toute façon d'une minorité de la population (deux générations, en fait), à cette catégorie de gens qui ainsi, se reconnaissent entre eux et s'apprécient à leur juste valeur via un language pseudo-codé (c'est une caractéristique du geek, d'ailleurs, mais aussi de tout groupe adolescent) pour s'auto-congratuler de leur indépendance d'esprit partagé par l'ensemble de leur groupe d'âge ? Parce que cela nous laisse sans définition pour le vrai geek, qui continue d'exister.

Or donc, selon moi, et si l'on reste dans les vraies limites du terme (et ce, même si on l'étend à l'ensemble de la culture populaire), le vrai geek doit présenter un ensemble de caractéristiques complet pour être reconnu tel. Toute personne ne présentant qu'une partie de ces caractéristiques n'est qu'un proto-geek, et clairement, s'il n'en présente que les caractéritiques socialement valorisantes, il s'agit simplement d'un gars sympa et cultivé pris par la geek-attitude.

Les caractéristiques que tout vrai geek doit avoir à tout prix pour faire parti de cette catégorie moins enviable, tout d'un coup sont :

- une MAJORITE de t-shirt moisis datant de quand sa maman lui faisait les courses dans son armoire. Attention, hein : il ne s'agit pas d'avoir UN t-shirt moisi qu'on se traîne comme un doudou depuis ses 15 ans, par fétichisme, ça, c'est quasi le cas de tout le monde. Non, on reconnaît le vrai geek au fait qu'il se contrefout de la manière dont il est vêtu et donc possède en règle général presque que des fringues moisies et vaguement démodées et qu'il ne les assorti pas, ou alors toujours, exactement de la même manière parce qu'une fille, un jour, dans sa bonté d'âme, lui a indiqué comment faire. Malheureusement, c'était il y a 10 ans, et depuis, la mode a changé et les vêtements en question sont devenus des loques immondes. Mais ça, le geek n'est pas apte à s'en rendre compte.
- une incapacité totale ou partielle (mais franchement handicapante) à participer à une conversation mondaine sur la pluie et le beau temps. Le geek n'est tout simplement pas câblé pour comprendre les normes sociales, ergo, il est virtuellement incapable de s'y plier ou même de faire semblant avant au moins ses 40 ans ET la chance d'avoir une femme qui lui donnera un manuel tout fait d'une petite trentaine de phrases prédéfinies qui, a priori, passent dans toutes les circonstances. Malheureusement, il est bien possible que la douce femme prévoyante ait oublié un ou deux cas qui provoqueront un mouvement de panique incoercible chez le geek qui se traduit, soit par l'énonciation de tout ou partie de son vocabulaire social pré-défini, aléatoirement, dans l'espoir qu'une réplique au moins aille au but, soit par la fuite pure et simple, accompagnée d'une période plus ou moins longue de mutisme préalable.
- ET une passion dévorante et légèrement inquiétante pour un sujet abscon de la culture populaire, tel que sus-mentionné. Mais attention : cette passion se doit d'être légèrement inquiétante, en ce sens que tout à fait exclusive et qu'elle doit marquer, chez le geek, un changement phénoménal de comportement quand il en parle. Le reste du temps, il est morne et visiblement déplacé, a toujours l'air de se ressentir comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, semble constamment posséder ou trop d'articulations, ou pas assez d'os pour être vraiment un être humain reconnaissable. Alors que quand il parle de sa passion, et à condition de ne pas écouter un traitre mot de ce qu'il raconte (que de toute façon, on ne peut pas vraiment comprendre, même quand on est passioné par le même sujet sans être geek), on assiste à un spectacle grandiose en son et lumière où tout d'un coup, le geek se trouve auréolé de toute la gloire de la compréhension mystique de son sujet. C'est alors qu'il développe une faconde impressionante, parfois, il fait même preuve de lyrisme (bon, d'accord, il utilise tout un tas de termes incompréhensibles, mais c'est comme la messe quand elle était en latin : on reste pénétré par le grandiose de la chose), sa silhouette se redresse et tout d'un coup, il occupe réellement l'espace où il se trouve et même, il le fait avec grâce et vivacité. Bon, il est vrai qu'il existe AUSSI une catégorie de geek qui réussissent l'exploit d'être en prime chiants comme la mort quand ils parlent de leur passion. Mais cela, c'est seulement si l'on prête attention à ce qu'ils disent. Parce que si l'on se place un tantinet à l'extérieur de la scène et qu'on ne fait qu'observer, même les geeks chiants deviennent fabuleux quand ils sont plongés dans leur sujet de prédilection. En fait, en ce sens, ils ressemblent clairement aux créatures féériques qu'ils aiment souvent beaucoup : ils ne sont pas à la place dans le vrai monde, mais dans le leur, ce sont des dragons, des fées puissantes et majestueuse, bref, des héros mythiques.

Ceux qui ne présentent que les deux premières caractéristiques, comme c'est le cas du collègue de JMA, n'ont vraiment pas de pot dans l'existence... Ce sont des protos-geeks de la catégorie la plus malchanceuse du monde : ils auront, tout comme les geeks, le plus grand mal à se trouver une petite amie, et en même temps, ça se comprend. Alors qu'effectivement, il existe une catégorie de filles (les geekettes) qui aime les geeks pour leur côté animal fabuleux. Sans compter que séduire un geek relève de la haute gageure, parce qu'il faut déjà qu'il se rende compte 1) de l'existence d'un fille dans les parages, 2) que le fille en question de drague, 3) qu'effectivement, dans ces conditions, l'expérience d'un rapport amoureux pourrait ajouter à sa sagesse dans ce long cycle initiatique qu'est la vie. Ce qui fait qu'un geek en petit ami, certes, c'est désocialisant (mieux que le rat, c'est prouvé !), mais en même temps, c'est un sacré morceau sur un tableau de chasse. 

Ceux qui ne présentent que la dernière des caractéristiques sont les protos-geeks volontaires. Ceux-là se réclament de la geekitude, mais sans les inconvénients, ce sont en fin de compte des chanceux : ils attirent les pseudo-geekettes, ne sont pas désocialisants et pas désocialisés, et même, on aime beaucoup les inviter dans les soirées parce qu'ainsi, on est sûr que leur faconde et leur charisme retombe sur l'hôte de la soirée qui connaît des "sacrés personnages vachement sympas mais un peu bizarres". C'est l'idéal. En être un guarantie une certaine liberté vis-à-vis des normes que vous comprenez tout à fait mais qui parfois vous gonflent et tout vous est pardonné car vous savez transmettre votre passion. C'est la catégorie à laquelle appartient la majorité de mes copains parisiens.

Enfin, pour que le tableau soit complet, il faut parler des anciens geeks et des gens qui ont ressentis l'appel du geek mais ont su, par une force d'âme qui pénètre d'admiration, résister. Ceux-là sont plus difficiles à cerner. En apparence, ils appartiennent à la catégorie des pseudo-geek version chanceux (souvent), ils ont quelques attitudes définitivement geeks, quelques t-shirt moisis, plus que la majorité, mais malgré tout, pas que ça. Ils sont très souvent mariés ou en couple stable (et c'est probablement la raison pour laquelle ce ne sont pas des geeks puisqu'il me semble avoir clairement énoncé 1), que la geekitude profonde était une sublimation de l'énergie sexuelle de l'individu, 2), que les filles ont pour habitude d'habiller leurs hommes et de leur apprendre un certain nombre d'éléments sur comment tenir sa place dans le monde). Ils savent s'exprimer sur autre chose que leur passion mais redeviennent de vrais geeks quand on les laisse aborder leur sujet de prédilection. Ils ont souvent un vrai travail pas nécessairement de geek (c'est à dire qu'ils ne sont pas webmaster, AP, terchniciens de hot-line, auteur de jeu de rôle ou sans emploi). S'ils ont plus de 35 ans, vous pouvez quasi à coup sûr en conclure que ce sont des geeks qui ont grandis et ont fini par comprendre que le monde, cet univers hostile, n'allait pas s'adapter à eux et que du coup, il leur fallait bien envisager de s'adapter au monde.
Les anciens geeks gardent souvent une nostalgie profonde pour le temps de leur geekitude, mais parfois, pourtant, et c'est triste comme de voir un papillon sans ailes, ils ont renoncés à leur passion, qu'ils ont associés à leur désocialisation et que leur femme ne supporte pas. Quand on en parle avec eux, ils sont capables de s'enflammer à nouveau avant de rougir, baisser le nez, expliquer que non merci, plus pour eux parce que c'est Mal et repartir la queue basse, comme un membre des AA qui se serait laissé aller à parler des merveilleuses vertus du vin.
Parfois, c'est plus rare, les anciens geeks ont trouvé chez leur compagne une aide qui leur a appris la vraie vie mais ne leur a pas empêché de se plonger, par intervalle régulier mais limité dans leur passion. Ils sont tristes aussi, parce que la vraie vie les a rattrapé. Mais ils sont souvent également très heureux, parce que quand ils sont trop tristes, ils regardent autour d'eux, et il y a une famille, avec femme, enfants et chien et que ça aussi, c'est magique, quand on sait bien regarder. D'ailleurs, ils n'ont jamais vraiment compris comment ils ont pu être si chanceux et s'en félicitent. Ceux-là sont des maris presque parfaits : pour peu qu'on leur laisse un coin de paradis geekesque, ils ne trompent pas leur femme, restent amoureux, continuent quoi qu'il se passe à la regarder comme quand elle avait 20 ans et que c'était la plus belle chose qu'ils aient jamais vu. La contrepartie est que, à moins d'un dressage sévère et sans aucune garantie de succès, il est peu probable qu'ils soient en mesure de comprendre les menus événements de la vie de la femme de leur vie et de s'y intéresser passionément. Ceci dit, ils sont parfaitement capables de ne PAS écouter, mais de le faire passionément, simplement pour le plaisir de savoir qu'elle existe et souvent, ça suffit amplement. Tous sont capables avec un peu d'entraînement de répondre automatiquement "tu es magnifique" à toute question concernant la vêture, la coiffure, la ligne, etc. Un sur deux au moins est capable de regarder avant, un sur 5 de remarquer une nouvelle tenue ou une nouvelle coiffure.

Quand ces caractéristiques se retrouvent chez une personne de moins de 30 ans, on est dans le cadre de celui qui a su résister à l'appel du geek. On les distingue des pseudo-geeks au fait qu'ils ne maîtrisent pas vraiment les normes sociales mais font de leur mieux, alors que les pseudo-geeks sont à l'aise mais parfois ne les respectent pas par choix personnel. Ceux-là finissent parfois la quarantaine passée et le but atteint par consacrer une partie de leur emploi du temps à leur passion, mais souvent, ils ne font qu'en parler, de moins en moins souvent avec le temps, avant, à un moment indéterminé, de finir par ne plus y croire eux-même et considérer le temps de leur tentation geekesque comme une période infantile et improductive, bien que sympathique. Ils sont de plus en plus rarement, mais aussi de plus en plus violemment atteint de nostalgie geekesque, ils sont rangés. Souvent, ils sont profs, parce qu'ils ont fait des choix rationnels pour mieux résister à la tentation dans leur jeune temps. Parfois, ils font même semblant d'aimer leur métier.

Voilà, le tableau du geek, du pseudo-geek et de la geekitude est complet. Ou presque, parce qu'on n'a pas parlé des filles geeks. On a longtemps pensé qu'elles n'existaient pas. Qu'il s'agissait de pseudo-geeks, mais en fait, et bien qu'effectivement, il faille un état d'esprit très particulier et un effort pour entrer dans le moule du geek à l'adolescence, alors qu'à l'inverse, tout garçon frustré et mal dans sa peau est menacé de geekitude, les filles geeks, les vraies, les tatouées, existent. Dans ce cas, elles ont toutes les caractéristiques du geek. Parfois, elles n'ont pas les t-shirts moisis mais s'habillent, quoique très coquettement, absolument pas selon la norme admise, toujours plus ou moins déguisées façon grandeur nature ou alors d'une époque révolue, les années 50, 60, 70, peu importe et que dans des magasins de frippes. Mais c'est une catégorie tellement récente de geek qu'on n'a pas le recul nécessaire pour savoir comment elles évoluent et si certaines deviennent, avec le temps, des ex-geeks. Je crois personnellement que cela ne se peut pas (une fois sur la voie du Mal, on ne peut en revenir) ou alors, tout d'un coup, violemment et sans regard en arrière, avec l'arrivée d'un enfant, par exemple. Mais ma connaissance personnelle de filles-geek est limitée et clairement insuffisante pour l'affirmer péremptoirement.
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M
C'est assez vrai, ce que tu dis... D'ailleurs, la preuve en est que ce film, que j'ai vu deux fois pourtant, je n'ai jamais su en trouver la clée. Trop années 80, trop n'importe quoi, trop vide ou alors trop plein de tout pour que je puisse m'y accrocher.Ce qui, évidemment, confirme ma théorie : je ne suis pas un vrai geek, malgré les apparences.
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H
Pour moi le geek apparait en 1984 et se définit d'un seul critère qui entraine tous les autres que tu évoques dans ton délicieux post: le geek est quelqu'un qui vénère Buckaroo Banzai, le héros du film légendaire "The Adventures of Buckaroo Banzai Across the 8th Dimension". Je pense que JMA pourra en témoigner...et je te jure que même socialisé avec job, femme et enfants, le geek originel et pris de crise de bonheur convulsif à la seul évocation du nom de son héros. Et quand un ex-geek se met à parler de ce héros ultime, je t'assure qu'il devient très inquiètant!
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