Bragelonne, une certaine vision de la Fantasy...

Publié le par Mel

Cela fait maintenant cinq ans que Bragelonne existe (à l'époque de l'article. Maintenant, ça doit faire 6 ans et demi, je crois). C’est peu, cinq ans, quand on y réfléchit. Mais pour nous tous, lecteurs de fantasy, Bragelonne s’impose comme une grande maison d’édition, comme une évidence. Pourquoi ? Est-ce dû à leur extravagant catalogue, qui comprend tellement de titres que nous avons le sentiment qu’ils hantent notre bibliothèque depuis bien plus longtemps que cela ? Ou est-ce là le reflet d’une vision qui a su s’imposer et nous apporter ce que nous cherchions désespérément sur les étagères de nos librairie favorite ? Toujours est-il que voilà, Bragelonne a cinq ans, toutes ses dents et rajoute à son incontournable label de fantasy les débuts d’une collection de SF que l’on sait d’ors et déjà passionnante. Voici donc de l’intérieur, grâce à un entretien avec Stéphane Marsan, l’histoire de cette maison d’édition pas comme les autres qui, en peu de temps, s’est rendue indispensable.
Bragelonne ou la fantasy
Si Bragelonne est si connu aujourd’hui, c’est essentiellement pour sa collection de fantasy. Cycles magistraux, grandes épopées françaises ou étrangères, la recette du succès est simple : ne publier que le meilleur. Mais c’est aussi une question de format. Foin de tous ces livres de poche à usage unique, on veut des beaux et grands livres. Il s’agit de créer une bibliothèque, LA bibliothèque idéale du lecteur de fantasy. Et c’est pourquoi Bragelonne, c’est aussi la republication, souvent corrigée, des grands cycles oubliés à tort. La littérature a une histoire et les précurseurs d’hier sont souvent les classiques d’aujourd’hui. Au final, Bragelonne, c’est une vision de la fantasy dans son ensemble, dans ce qu’elle nous a toujours séduit : de l’épique, du visuel, de l’intemporel. Et le tout, sans chichi. Voilà ce que l’on pourrait dire en quelques mots pour résumer notre entretien avec Stéphane Marsan, le directeur éditorial et littéraire de Bragelonne. Cet écrivain et anthologiste, qui a d’abord fondé et dirigé les éditions Mnémos jusqu’en 2000, en est convaincu. La fantasy, il faut la faire belle. « En tant qu’éditeur, on est forcément militant de la fantasy, pas pour lui obtenir une reconnaissance, parce que ça, c’est peine perdue mais l’important, c’est que le public puisse en lire dans sa diversité, avec des traductions de qualité, des beaux bouquins dont on n’a pas honte dans le métro, etc. » Tout un programme, donc, qu’il n’était pas évident de réaliser.
De la fantasy dans toute sa diversité
Mais à l’origine de Bragelonne, ils sont deux aux compétences complémentaires. Stéphane Marsan, bien sûr, qui a déjà monté une maison d’édition et connaît bien les auteurs français, et Alain Névant, le gérant, qui fut avant rédacteur en chef de Science-Fiction Magazine et conseiller littéraire chez J'ai Lu, et qui maîtrise le genre dans son ensemble. « L’idée c’était d’essayer de prendre une place sur le marché qui reflète un besoin. Il y avait 25 ans de retard par rapport aux anglo-saxons, donc il y avait beaucoup de choses à faire et une vraie demande. » Du coup, l’accent est mis sur la traduction et la publication d’œuvres majeures ignorées ou oubliées en France. « Nos choix éditoriaux sont fondés sur deux choses : d’une part, ce qu’on aime et qu’on a envie de partager et, d’autre part, la volonté de proposer l’éventail le plus large et le plus riche du genre. Ne pas se concentrer sur une seule tendance de la fantasy sous le prétexte que c’est ça qui marche. Cet éventail comprend bien sûr des nouveaux auteurs et des nouvelles tendances mais aussi tout un patrimoine négligé. C’est pour ça qu’on a refait Shannara, Goodkind, Feist, Princess Bride ou Leiber. La fantasy est un genre qui a une histoire et il faut refournir les libraires. Nous, dès le début, on voulait avoir les noms majeurs du genre. C’est comme si on était éditeur de polars et qu’on se disait : tiens, mais personne ne publie Agatha Christie ? » Mais n’allez pas croire que publier des traductions, c’est sans risque. Si, aujourd’hui, tout le monde connaît David Gemmel, à ses débuts, le pauvre homme avait le plus grand mal à trouver un éditeur. « C’est devenu une valeur sûre à partir du moment où on a publié Légendes et qu’on a fait un carton. Mais il a été refusé pendant 14 ans en France. Personne n’en voulait. C’est un cas typique : il ne correspondait pas à la mode. C’est donc toujours un risque de publier un livre, quel qu’il soit. » Et de citer des exemples. « Il y a des best-sellers internationaux qui vendent à 1000 exemplaires en France. Goodkind, il a été publié en poche, ils en ont vendu 5 000 : catastrophique ! Une nouvelle traduction, un nouveau format, un nouveau look, une édition intégrale : on a fait ce qu’il fallait, mais on aurait pu se flinguer définitivement sur ce coup-là. »

C’est qu’à voir l’étendue et la diversité du catalogue, on pourrait croire que Bragelonne a les reins solides, mais c’est encore une très jeune maison d’édition. « Quand on rencontre des américains et qu’on présente notre catalogue, ils ne croient pas qu’on est petit et indépendant parce qu’on a presque tous les best-sellers au monde. Ça fait plaisir ! » Oui, on comprend que cela fasse plaisir, mais ce n’est pas un hasard s’ils en sont là chez Bragelonne. Cela vient d’une ligne éditoriale réfléchie, qui tient compte du lectorat, de tous les lectorats. « Le public de la fantasy s’étend et se diversifie énormément. D’un côté, il est de plus en plus jeune. Le cycle de la Moira, on le destinait au rayon SF adulte et puis on s’est rendu compte que des gosses de 11 ans le lisait. Mais en même temps, il y a un public beaucoup plus âgé, des gens qui ont facilement 35-40 ans, voire beaucoup plus. Enfin, l’autre aspect majeur, c’est la féminisation du public. On s’en est rendu compte aux USA il y a quelques années, les best-sellers de fantasy se font sur un public féminin de plus de 40 ans, en gros le lectorat de Marion Zimmer Bradley, qui lit de la fantasy sans le savoir. Nous, on suit ça de près, on fait un travail de formation des libraires, on communique, et on adapte nos couvertures en fonction également. Sur Goodkind par exemple, on a mis un homme et une femme qui essayent de se rejoindre sur un pont sur la couverture. OK, il y a sorcier dans le titre, mais avant tout ce qui est proposé visuellement, c’est une histoire d’amour dans un paysage merveilleux. Sarah Douglas, c’est pareil. C’est très romantique, mais c’est aussi l’histoire un chef de guerre, une malédiction, etc. Mais on ne travaille pas nos couvertures uniquement pour plaire aux femmes. Dès le départ, on a voulu montrer qu’on pouvait faire varier l’image de la fantasy. Pour revenir à Légendes de Gemmel, je pense que, d’emblée, ça a fait une différence. Il y a une forteresse et une hache devant mais pas de personnage, pas de scène d’action, de dragon, de mages, etc. On est attaché à un visuel traditionnel, comme une grande part du public, mais de temps en temps, on aime être surpris. Du coup, on sait déjà que trois ou quatre cycles par an seront différents visuellement. » Bref, chez Bragelonne, on fait attention à tous les détails et il faut qu’il y en ait pour tous les goûts.
De la fantasy à la SF en passant par l’humour
… Et aussi quelques OLNI (Objet Littéraire Non Identifié)
Du coup, Bragelonne se met à la SF. Oh, ce n’est pas vraiment une nouveauté, ils en ont toujours publié quelques-uns par-ci par-là, mais cette fois-ci, c’est décidé, c’est une collection qui sortira, avec pas moins de huit titres par ans. « La fantasy domine très largement le marché depuis 10 ans, peut-être même un peu plus. C’est deux tiers à trois quarts des ventes du rayon SF, la science-fiction venant après et le fantastique ayant quelques miettes. C’est donc à la fois par calcul, par goût et par prudence qu’on fait de la science-fiction. Il reste un lectorat pour la SF et il n’a pas grand-chose à se mettre sous la dent et c’est bien dommage : nous avons de nouveau 25 ans de retard sur la publication anglo-saxonne. Et puis le goût que les gens ont pour un genre est cyclique. Il y a des moments où la SF marche très bien et la fantasy baisse et vice versa. Il y a gros à parier que, d’ici quelques années, la SF va revenir en force et à ce moment là, il faudra avoir un catalogue. Donc, on prend un gros risque maintenant parce que les ventes ne sont vraiment pas bonnes, mais en même temps, on veut montrer qu’on monte un catalogue digne de ce nom. » Bref, encore une fois, la même démarche qu’avec la fantasy : rigueur et prévoyance.
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Pourtant, ce ne sont pas les seules caractéristiques de Bragelonne. Chez eux, il y a de l’audace, aussi. Ainsi, monter une collection en demi format pour la fantasy humoristique, ce n’était pas évident. « Pratchett, en Angleterre comme en France, il a fallu 6 ou 7 bouquins avant que ça ne marche. Mais Alain avait la parodie du Seigneur des Anneaux [Lord of the Ringard] et, à l’approche du film, il l’a sorti de ses étagères et m’en a lu deux trois passages, j’ai rigolé et il m’a dit, ben tu vois, c’est rigolo. On a décidé de le sortir, vraiment pour faire une blague, un clin d’œil. On ne pensait pas qu’on en vendrait 50 000 ! » Après coup, cela semble une excellente idée, une comme celle d’avoir publié Days, par exemple, auquel personne ne croyait et qui aurait pu, tout aussi bien, se retrouver en littérature générale et dont on a vendu plus d’exemplaires en France qu’en Angleterre grâce au soutien des libraires.

Parce que Bragelonne, de temps en temps, publie aussi des livres OVNI, fabuleux mais hors genre. Pourquoi ? Parce qu’ils ne trouvent leur place nulle part ailleurs. « Ce sont des livres dont on se dit, ce n’est pas pour nous. Mais que personne ne le fasse, ce n’est pas possible, alors… » Et la plupart du temps, ça marche. « Grâce aux libraires qui nous soutiennent et puis peut-être un peu de chance », nous dit Stéphane. Mais est-ce bien de la chance, tout ça ? Monter une maison d’édition en cinq ans, en faire une référence en fantasy, tenter une collection humoristique, se lancer à fond dans la SF avec l’aide des meilleurs et publier de temps en temps des textes OVNI et en faire des succès, ce ne peut pas être par hasard : cela s’appelle du talent.

Richard Morgan, lfuries-dechainees.jpge renouveau du Space Op’ anglais
On vous en a déjà parlé et on recommencera, Richard Morgan est un de ces auteurs qu’il s’agit de ne pas manquer. Son premier livre (qui est aussi le début d’un cycle), Carbone Modifié, est déjà optionné par Hollywood et il le vaut bien. Son héros : l’ex membre des Corps Diplomatiques Takeshi Kovacs. L’époque : le XXVIe siècle. Le lieu : partout dans la galaxie. La technologie a évolué au point que chaque être humain est équipé d’une pile corticale située à la base de la nuque qui enregistre les souvenirs et l’essence de l’esprit. Du coup, si vous en avez les moyens ou si vous êtes un militaire, vous pouvez vous faire « réenvelloper » dans un nouveau corps lorsque l’ancien est usé ou mort. Mais Takeshi Kovacs en a eu marre du cortège d’horreurs de la vie militaire. Confronté régulièrement à son passé, Kovacs va même, dans le troisième volet de la saga, Furies Déchaînées, devoir combattre une version plus « jeune » de lui-même, illégalement conservée et envoyée pour le tuer. Bref, c’est novateur, jouissivement Space Op’ et absolument génial.

Le cycle de Shannara
On en a pas mal parlé dans l’article, alors pour ceux qui ne connaissent pas, Shannara est un cycle en onze volumes (mais seulement cinq publiés à ce jour chez Bragelonne) et dont le commencement date de 1977. Terry Brooks, son auteur, se réclame bien sûr de Tolkien mais aussi d’Alexandre Dumas pour son aspect feuilletonesque et flamboyant. De fait, chacun de ses livres a été un énorme best-seller et Shannara est sans nul doute à découvrir. Le premier volume nous raconte l’histoire d’un Mal qui a détruit le monde autrefois mais oublié depuis. Pourtant, il n’est pas éteint et menace de réapparaître. Seule l’épée de Shannara pourra le combattre et seul un descendant de la maison de Shannara pourra la brandir. Par la suite, on vivra les aventures des descendants de Shannara, génération après génération, dans leur combat contre les Démons et les Ténèbres. Cela vous semble un brin convenu, peut-être ? Oui, mais c’est parce que c’est un classique, un de ceux qui ont forgés le genre…

Publié dans Science-fiction

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M
En tout état de cause, je suis tout à fait certaine qu'un pseudo anglo-saxon ne va en aucun cas vous aider à vous faire publier.Ce qui marche, pour se faire publier, du coup, c'est de sortir du lot. On ne peut tout simplement pas faire de la meilleure SF américaine que les américains, c'est impossible. Il fait donc faire autre chose, de la SF européenne, de la SF française. Ce n'est pas simplement une question de langue, mais aussi de références et d'état d'esprit. C'est comme ça que des écrivains comme Ayerdhal font, des Xavier Mauméjan ou bien des Johan Heliot. Ils écrivent avec leurs références et leur monde. Du coup, c'est non seulement bon, mais unique, cela ne peut pas venir d'ailleurs.Evidemment, l'inconvénient, à l'inverse, c'est qu'ils peuvent parfois avoir de grandes difficultés à être traduits, parce que justement, ils ont des références très européennes... Mais une chose à la fois, non ? ;-)Sinon, une histoire qui peut vous redonner courage. Pas en SF, en littérature générale, mais le problème est le même. Un américain a écrit un livre, un bouquin formidable qui s'appelle le Seigneur des Porcheries. Le truc, c'est qu'aucun éditeur américain n'en veut, parce que ça s'attaque très fort à la cuture bouseuse américaine. Il l'envoie à Paris, à Gallimard, qui le prend tout de suite, parce que c'est une merveille. Depuis, il est revenu aux USA, où il fait un tabac... Comme quoi, la France sait parfois donner sa chance aux exceptions. Le tout, c'est de parvenir à travailler dans le sens de ce qui fait cette exception... Cherchez la vôtre !
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S
Oui, c'est un peu ce que j'avais cru comprendre à force de fouiller sur le net. Mais c'est rageant. Et d'un, comme tu le dis, n'arrive chez nous que le "bon" de chez les anglo-saxons, et puis, c'est de la traduction depuis l'anglais... je reste et resterai toujours d'avis que les francophones écrivent avec plus de ressources en français qu'en anglais et qu'à force de ne jurer que par cette littérature traduite, nous en perdons quelque chose... bref.Je n'ai plus qu'à me trouver un pseudo anglo-saxon... hihi... ça pourrait m'aider à être publier nan ??? mdr.... J'avais pensé à Sarah Jane Hamilton .... ???? Bon, redescends sur terre Sandy...
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M
Je crois qu'il y a au moins 3 raisons à cela. La première est idéologique : ils veulent, comme pour la fantasy, se constituer un catalogue impressionant, donc ils veulent les grands classiques négligés et aucun éditeur ne peut publier plus d'un nombre raisonnable de livres sans se ruiner, c'est donc un choix à faire.La seconde, c'est que je pense qu'ils ont, comme beaucoup d'éditeurs et d'intellectuels français, ce complexe d'infériorité par rapport aux anglo-saxons qui leur fait effectivement penser que, par nature, la SF française est moins bonne, à de rares exceptions près. Cela provient d'un effet loupe assez logique. D'abord, les anglo-saxons sont plus nombreux, donc ils produisent plus et donc logiquement, sur la masse, ils produisent plus de bons livres. Ensuite, clairement, quand on entend parler de la littérature anglo-saxonne en France, c'est qu'elle a minimum quelques qualités. Du coup, on ne voit que le haut du panier anglo-saxon, important, quand en France on a une production de qualité irrégulière et peu importante : ça déforme le jugement.Enfin, et d'une manière plus cynique, je les soupçonne comme tout éditeur raisonnable (sans quoi ils se seraient plantés en beauté) de calculer les risques au plus près. Un auteur anglo-saxon est un auteur déjà publié et s'il l'a déjà été, c'est donc qu'un autre éditeur aura considéré que le risque était rentable, donc le risque est moindre.Ceci dit, Bragelonne publie également des auteurs français... En fantasy ou alors en demi-format, comme pour Mélanie Fazi. Je pense qu'à terme, ils le feront aussi pour la SF mais toujours dans une proportion moindre.
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S
Pas mal !!! Par contre je n'ai toujours pas trouvé la réponse (où j'ai mal lu et tu la donnes) pourquoi ne veulent-ils pas publier d'auteur SF francophone...? "on" est nul à ce point ???? (ps... ils n'ont jamais répondu à cette question que je leur ai posé...si si... par mail... lu par au moins deux personnes chez eux...)
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A
Youhou !!!! Un dossier ! Enfin ! Après toutes ces années ! ^^
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