Femmes du Maroc : amitié et sexualité

Publié le par Mel

Bonjour,

Alors aujourd'hui, je vais parler de deux sujets délicats à manipuler pour les femmes marocaines, à savoir la sexualité et l'amitié. Pas des masses de rapports entre les deux, me direz-vous... C'est vrai, au premier abord, mais dès qu'on creuse, on se rend compte qu'en fait, le rapprochement des deux notions est inévitable, du moins en ce qui concerne l'amitié homme-femme.

Amitié homme-femme

J'en vois déjà qui fantasment dans le fond, là. Oui, vous là ! ;-) Mais non, ici comme partout, l'amitié homme-femme ne suppose pas que l'on passe sur un plan plus... Intime. Au contraire, bien entendu, sinon, comment serait-ce de l'amitié ? Seulement voilà : la question qui se pose aux femmes marocaines, c'est bien entendu l'amitié homme-femme est-elle possible ?

Oui, je sais, c'est une question classique qui se pose sans doute partout. Mais ici, elle acquiert une dimension légèrement différente du fait que tout un chacun observe l'autre. Dès lors, si vous êtes une femme et que vous avez un copain d'enfance avec qui vous adorez discuter macramé le jeudi soir, on supposera vraisemblablement que vous êtes ensemble... Et ça, ça change la donne, évidemment. Pourtant, beaucoup de jeunes femmes célibataires ont des amis hommes. Mais dès qu'elles se marient, elles ne les voient plus, ou en tout cas, pas sans la présence de leur mari. Est-ce que maintenant, vous comprenez l'élément étrange dans l'équation ? L'amitié homme-femme, on n'y croit pas trois secondes, ici. Mais pour les besoins de la cause, on fait semblant d'y croire quand on est célibataire...

La raison en est simple : c'est un moyen de se rencontrer "en tout bien, tout honneur" et d'apprendre à se connaître et s'apprécier. Evidemment, vous comprendrez que dans ces circonstances, il est obligatoire que ces rencontres aient lieu dans des lieux publics ou alors en présence de tiers, de manière à maintenir une distance effective entre ces "amis" auquel personne ne croit, surtout pas les femmes. Mais dans cette grande course à la séduction déguisée en amitié, les hommes et les femmes n'ont pas tout à fait le même but... Pour les femmes, il va s'agir de rencontrer l'âme-soeur, celui avec qui elles vont pouvoir construire leur vie. Pour les hommes, c'est bien possible également, mais dans l'intervalle, s'ils pouvaient en profiter un brin pour s'amuser... Ce ne serait pas un mal, n'est-ce pas ?

Sexualité féminine et rang social

Et c'est là qu'intervient la problématique de la sexualité pour les femmes. Je vous ai déjà dit à quel point la libéralisation des moeurs pouvait être un piège pour les femmes. On est en plein dedans. Ici, se marier est le but ultime pour tout le monde, puisque sans mariage, pas de vie à deux et personne, ni les hommes, ni les femmes, ne veulent vivre seuls, pas plus ici qu'ailleurs, évidemment. Mais si les hommes peuvent sans problème social particulier coucher à droite et à gauche avant (et même malheureusement souvent pendant) le mariage, pour les femmes, ça a toujours été plus compliqué. Et ici, dans cette société où le changement de moeurs s'effectue lentement, la virginité a encore un sens qu'elle n'a officiellement plus en occident. Je vous le disais hier : la femme idéale est vierge au mariage...

Dans ces conditions, me direz-vous, c'est simple : les femmes restent vierges jusqu'au mariage, c'est la règle du jeu, dura lex, sed lex. Oui, mais en fait, non. Parce que dans ce grand jeu de faux semblants qu'est la séduction au Maroc (comme partout sans doute, mais en pire, lol), les femmes modernes sont censées avoir les mêmes droits que les hommes. Les jeunes filles sortent en boite, boivent de l'alcool, s'habillent sexy. Pas partout, évidemment, et pas toutes les filles : essentiellement les jeunes filles de bonne famille.

Et c'est là un des paradoxes les plus troublants du Maroc : ce que se permettent de faire les femmes marocaines éduquées serait inacceptable socialement pour une jeune fille de classe populaire.

Une jeune fille riche ou de la classe moyenne (comprendre fassie, rbatie ou éventuellement arobie riche) peut, dans certaines conditions :

- fumer
- boire
- aller dans des cafés
- aller en boite de nuit
- être sexy
- et même avoir une sexualité.

Chacune de ces actions, sans même parler de la dernière, suffit à classer "fille perdue" une femme de niveau social inférieur (arobie ou bien berbère). Alors que pour une femme "éduquée", c'est de la sophistication. Mais attention, parce qu'à ce terme de sophistication correspond deux définitions, l'une "rendre plus sophistiqué", c'est à dire plus raffiné, mais aussi "dénaturer"... Et on est pas loin d'admettre les deux définitions conjointement dans ce cas très précis.

C'est ce qui amène à des adaptations étranges : oui, certaines femmes fument, mais elles ne le font jamais dans la rue, ce serait vulgaire, et ne l'avouent jamais à leurs parents, qui doivent bien le savoir mais font semblant de l'ignorer. Oui, les femmes boivent de temps en temps, mais être saoules est une honte qu'elle ne s'infligeront pas, standing oblige, en tout cas, plus jamais sortie de l'adolescence crétine. Oui, les femmes vont en boite, mais pas n'importe lesquelles, oui les femmes vont au café, mais c'est plutôt des salons de thé ou équivalent, oui les femmes s'habillent sexy, mais absolument pas partout. Et quand à la sexualité, c'est un tabou, évidemment. Mais quand on est amoureux et que l'on sait que c'est sérieux, n'est-ce pas...

Ceci acté, on se rend compte immédiatement que ces "libertés" que peuvent prendre les femmes de bon niveau social sont autant de pièges cruels. Si elles ne les prennent pas (tout ou partie), elles sont des "oies blanches", pas sophistiquées pour deux sous, pas rigolottes, pas intelligentes, bref, des innocentes dans le sens le plus péjoratif du terme. Mais si elles en prennent, alors quelle est la limite ? Et c'est là qu'on retombe sur notre sujet du début, amitié homme-femme et sexualité...

Là où les athéniens s'atteignirent...

"Tu es une femme moderne, tu sors, tu fumes, tu bois même une bière de temps en temps et on se voit tous les soirs ou presque au café au sortir du boulot... Tu dois bien savoir où je veux en venir, non ? Ne fais pas l'idiote, tu sais bien que l'amitié homme-femme, ça n'existe pas. Et puis toi et moi, c'est du solide, t'as peur de quoi ? Tu sais que tout le monde est persuadé qu'on couche ensemble depuis des mois ? Allez, on en a envie tous les deux... Tu vois pas que je t'aime ?"

Ce discours ou ses dérivées, toutes les femmes marocaines l'entendent plus ou moins, verbalisé ou sous-entendu. A jouer la carte de l'amitié homme-femme dans le cadre de la séduction, on joue avec le feu et ça passe ou ça casse. Si ça passe, tant mieux : on trouve l'homme de sa vie. Mais si ça casse, on est plus ou moins coincée dans une situation inextricable : si on couche, on est une fille facile. Mais si on couche pas, on est une allumeuse. Et puis de toute façon, qui croira que vous n'avez pas couché avec ce garçon dont vous êtes visiblement amoureuse et que vous voyez régulièrement dans des endroits pas très marocains (ergo, les cafés suffisament occidentalisés pour que les filles y aillent) ?

C'est là que le but des filles est de ne jamais rester isolée avec un garçon, jamais, de manière à éviter ça. Mais d'un autre côté, être en société ne facilite pas les aveux amoureux et ne satisfait pas le besoin d'intimité, qu'elle soit sexuelle ou autre (et oui, les filles aussi ont des besoins sexuels). Le deuxième point très important est de présenter aussitôt que possible le futur possible à sa famille... Mais pas trop tôt, parce que si ça marche pas, la famille va demander des comptes et puis, ça pourrait faire fuir le prétendant.

Pour les garçons, qu'ils soient amoureux ou pas, le but sera au contraire de rechercher l'intimité. S'il est amoureux mais prude, ce sera un moyen de vérifier la moralité de sa belle : insister pour voir. Si elle accepte, c'est qu'elle n'est pas respectable. S'il est tout simplement amoureux, évidemment, ce sera pour concrétiser cet amour. Et s'il n'est pas amoureux, ce sera pour en profiter... Comme vous le voyez, dans deux cas sur trois, la fille est perdante. Et il n'y a pas encore de règles suffisament bien comprises par les femmes en terme de séduction pour éviter ça. La plupart jouent le jeu du : "je ne suis pas prude, mais pas non plus débauchée", donc elles ne boivent pas ou quasiment et se comportent en femmes-enfants, espérant par-là souligner leur innocence et l'importance de la faveur qu'elle accorde (et qu'elles n'ont jamais accordée jusque là, n'est-ce pas) si elles franchissent le pas. Mais ça ne marche pas toujours, bien entendu, car dans ce cas là, les hommes jouent de leurs atouts maîtres, l'autorité de l'homme (avant) et la honte d'une fille qui s'est donnée hors mariage (après). Le pire qui puisse leur arriver, c'est qu'ils en aient pour longtemps à se détacher d'une fille pot-de-colle, mais ça ne sera jamais lui le coupable...

Dans d'autres castes (oui, castes !!!) sociales, ça se passe différement, mais cela, nous en parlerons demain...
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M
Bonjour,Tout d'abord, bienvenu sur ce blog et merci de m'avoir accueilli dans la communauté expatrié(e)s. ;-)Aaaah ! Marrakech... Mais Marrakech n'est pas le Maroc, mais alors pas du tout...Vois-tu, si Casa n'est qu'une facette extrêmement étrange et occidentalisée du Maroc, Marrakech, c'est le tourisme et uniquement le tourisme... Tous les marocains hormis les marrakchis (et encore !) considèrent que Marrakech, c'est Sodome et Gommorhe. On y trouve des prositutées dans tous les bars d'hôtel et il n'y a pas une seule perversion  qui n'y soit achetable. Il y a un casino où même les marocains vont alors que les jeus d'argent sont interdits, presque partout, on te sert de l'alcool, même pendant les fêtes religieuses. Bref, les normes qui s'appliquent à Marrakech ne sont pas celles qui règnent ailleurs au Maroc, même pas à Casa.Marrakech, qui est une ville très belle, n'en est pas moins une sorte de Disneyland du Maroc : on y voit tout un tas de populations "typiques", mais rien n'y est plus authentiquement marocain. De fait, là-bas aussi, les femmes font attention à leur réputation, cependant, mais différemment. Il faudra que j'en parle d'ailleurs, un de ces jours. C'est vraiment une enclave particulière.
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C
Bonjour Mel,Je decouvre avec plaisir ton blog a travers la communaute "expatrie(e)s" que j ai cree avec un autre de mes blogs. J ai eu la chance d aller 5 ou 6 fois a Marrakech, j y avais remarque que les jeunes filles semblaient tout a fait epanouies. En regardant les gens vivre depuis les tarrases de cafe sur le  boulevard Mohammed V, les rapports hommes/femmes m ont semble plus courtois qu en France.Bon week end, Christophe
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M
Oui, ce n'est pas simple... Mais pour mieux comprendre ce qu'il se passe ici, il faut se souvenir que les femmes ne sortent de chez elles que depuis une petite vingtaine d'années. Et que l'évolution des moeurs est très rapide, mais inégale.Si l'on compare la situation des femmes au Maroc avec celles des françaises durant l'histoire de leur libération, on voit immédiatement où le bât blesse : c'est extrêment rapide.En France, les femmes ont commencé à acquérir une certaine liberté dans les années 20, suite à la première guerre mondiale qui les avait forcé à prendre en charge le travail par défection des hommes en train de s'entretuer. Mais il a fallut attendre les années 60 pour que la libéralisation sexuelle à peine entammée dans les années 20 et réprimée ensuite par la vague de moralisation de la fin des années 30 et des années 40 se concrétise... Et encore la fin des années 70 et surtout les années 80 pour que la valeur des femmes au travail soit valorisée au même niveau (ou presque, disons) que celle des hommes.Ici, tout se fait en même temps, et ce n'est facile pour personne car ces adaptations demandent à chacun de se redéfinir une place stable dans la société. Sur certains points, le Maroc est très avancé (notamment dans la reconaissance du rôle des femmes au niveau économico-socio-politique). Sur d'autres, c'est le début des années 60. Les solutions qu'apporteront le Maroc à ce déséquilibre des relations hommes-femmes ne seront peut-être pas celles que l'occident a choisi, religion et culture oblige. Mais il est très important de connaître l'importance des implications de ces choix de société car c'est ce qui définira en grande partie le visage du Maroc de demain.En attendant, bon courage dans votre intégration ici et ne vous laissez pas abattre : c'est un merveilleux pays qui vous apportera énormément et où il fait très bon vivre. Simplement, les différences culturelles profondes sont plus importantes qu'on pourrait le juger au premier regard, de notre point de vue privilégié (pas besoin d'apprendre une langue étrangère à moins de le souhaiter, capital de respect énorme du fait qu'on est français, etc.). Il faut bien sûr les respecter et se montrer toujours respectueux : c'est le meilleur moyen de découvrir et de comprendre ce qui ne nous est pas accessible dans les premiers temps.
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A
Merci pour cette explication de qualité. Je suis à Casa depuis peu et je comprends jour après jour les codes des relations hommes-femmes. C'est pas facile, surtout au boulot. Y'en a pour tous les goûts. Le plus extrême c'est le cas d'une femme qui ne veut surtout pas me serrer la main, car cela signifie toucher un homme. Choc des cultures.
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M
Non, ce n'est pas simple à gérer pour les femmes, c'est évident... En fait, elles sont coincées dans une vie adolescente de petites villes françaises, quelque chose comme ça... En encore plus caché.Mais bon, même si ces libertés dont elles jouissent sont autant de pièges pour beaucoup, malgré tout, elles sont en train de faire changer les mentalités des hommes, petit à petit. Et ça, c'est le vrai point positif. En attendant, si les mariages arrangés sont encore monnaie courrante, il n'empêche que hommes et femmes se côtoient plus dans leur phase célibataire et ça permet aux hommes d'intégrer mieux ce que c'est qu'une femme (pas simplement une servante avec qui on couche, quoi, lol).Bref, encore une fois, transition. On verra bien ce que tout cela donnera d'ici... 10 à 20 ans.Bisous,
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